L'arrière du décor de la création d'un patron de couture ...

Je me souviens des émotions que j'ai ressenties quand je suis devenue testeuse de patron. J'avais l'impression que ça n'arrivait qu'aux autres, que je n'aurais jamais le niveau pour que l'on me confie une telle mission !
Et pourtant, c'est Annie, la créatrice québecoise de Annie et ses coutures qui a été la première à me faire confiance début 2022. Un vrai challenge pour moi que de faire partie de son équipe de testeuses car j'étais habituée à coudre exclusivement des tissus chaine et trame alors que la grande majorité des patrons proposés par Annie sont à réaliser dans des tissus extensibles. Pour mieux comprendre les différences entre ces tissus, je vous invite à lire mon article du blog : Les tissus, ces guerriers en armure.
Peu de temps après, Laura de Laucaly créations m'a fait confiance pour intégrer son équipe. Je propose certains de ses modèles à la vente sous licence en boutique d'ailleurs !
Enfin, vous connaissiez certainement Amagate wax pour les merveilleux tissus qu'elle propose, depuis l'année dernière, la boutique propose également des patrons de couture pour mon plus grand bonheur ! Ci-dessous la Robe Aya que j'ai testée pour Amagate wax.

Revenons-en au sujet de cet article... N'importe qui ne peut pas créer un patron de couture, c'est un domaine qui nécessite une formation et des connaissances spécifiques. Je suis moi même encore incapable de créer des patrons complexes. J'arrive à créer mes propres patrons de base pour le prêt-à-porter, à ma taille et à les transformer. Lorsque les patrons sont simples, j'arrive à les reproduire dans plusieurs tailles en partant de la mienne mais il faut que le patron de base soit vraiment très simple. Le passage d'une taille à une autre s'appelle la gradation. Pour être capable de réaliser cette tâche il faut avoir un logiciel spécifique et payant qui permet de couvrir une large gamme de tailles ou suivre une formation spéciale où la gradation est étudiée et ainsi réussir à le faire "manuellement", sans logiciel.
Vous l'aurez compris, je vais ici vous parler du travail titanesque qui se cache derrière la création d'un patron, ça peut aller de quelques semaines à plusieurs mois de travail !
Je n'ai pas la prétention de tout savoir au sujet de la création d'un patron mais pour avoir créé celui de l’Écharpe Boréal, j'imagine que le processus de création pour les grandes étapes est similaire, que l'on veuille créer un patron d'une robe complexe ou d'un accessoire pour un niveau débutant.
Je vais vous présenter ci-dessous les étapes par lesquelles je suis passée pour la création de mon patron de l’Écharpe Boréal.

1. L'idée, l'inspiration, la créativité

Je me plais à dire aux clients lorsque je participe à des salons en tant qu'exposante, qu'une Vie entière ne ne me suffirait pas pour coudre tout ce que j'ai envie de coudre. J'ai un petit carnet où je note toutes mes idées de créations qui j'espère verront un jour la lumière rayonnante du jour ! J'y note également tous les patrons de créatrices que j'aimerais acquérir et coudre, pour moi et pour les clientes lorsque la licence commerciale est disponible.
Pour l’Écharpe Boréal, je l'avais tout d'abord créé pour moi car aucun de mes manteaux ne possède de capuche et je ne suis pas tellement fan des doudounes. J'ai donc pensé à un accessoire douillet, chaud, avec une capuche. Pour la proposer à la vente, j'ai cherché à la rendre originale et pratique, je pense avoir été au bout de la mission !
En ce qui concerne mon inspiration et ma créativité, je vais vous dévoiler l'une de mes qualités (ou peut-être un défaut, je ne sais pas trop !), on m'a diagnostiqué que mon système de pensée est en arborescence, c'est à dire que ma pensée fonctionne en réseau. C'est une pensée créative (bizarrement ça ne m'étonne pas).
Voici comment fonctionne la pensée arborescente : un pensée A va se déployer dans plusieurs directions pour donner des pensées B, C et D qui elles-mêmes vont donner lieu à des "sous-pensées". Chaque pensée va créer un ensemble de pensées qui vont à leur tour créer un autre ensemble de pensées. Vous me suivez toujours ? Imaginez une arbre avec son tronc pour la pensée A et toutes ses branches et ramifications de branches pour le système de pensées.
La pensée arborescente permet le passage en revue rapide de toutes les idées, sous-idées et solutions, possibles pour répondre à un problème ou une situation donné(e). Je vous laisse imaginer maintenant à quel point mon cerveau était en ébullition durant les mois de ma préparation à la création de mon entreprise.
Ce qu'il faut retenir c'est qu'avec un cerveau qui ne s'arrête jamais, l'inspiration se trouve partout, dans le moindre détail des choses de la Vie et ça c'est un cadeau !

2. Le dessin

S'il y a bien une matière que j'affectionne particulièrement en formation pour mon CAP MMVF c'est l'Art Appliqué. Je vous mets ci-dessous mon premier dessin dont le sujet était : la petite robe noire, manches bouffantes et col Claudine : j'en suis très fière !
Pour mon propre patron, je n'avais pas tellement dessiné l’Écharpe Boréal, j'avais déjà tout en tête et c'est en créant que j'ai ajusté en fonction de ce qui irait le mieux par rapport à la fluidité du tissu et aux proportions. Car oui, parfois ce que j'imagine n'a pas du tout le même rendu en réel. Je m'étais lancée une fois dans la confection d'un haut avec le bas en forme de pétales de fleurs. J'avais ajouté du passepoil dans le bas des pétales en guise d'ourlet pour alourdir le bas. Un échec total (et drôle) !

3. La toile

La réalisation d'une toile est préconisée dès que l'on se lance dans la confection d'un vêtement. Elle est encore plus conseillée lorsque l'on teste le patron pour une créatrice. Faire une toile consiste à coudre une première fois dans un tissu simple, souvent un toile de coton, un drap ou une housse de couette qui dort dans le fond du placard par exemple. Le but de cette toile est de vérifier que les mesures choisies pour le vêtement sont les bonnes, vérifier si des ajustements sont à prévoir (poitrine, épaule, etc) du fait des différences de morphologies de chaque femme.
Une toile c'est finalement le brouillon avant le chef-d’œuvre ! J'en réalise rarement car je trouve que c'est un gaspillage de tissu et du gaspillage de temps mais ce n'est que mon avis. Je n'ai encore jamais eu d'accident sans passer par une toile, je croise les doigts pour que ça continue ! J'avoue que pour l’Écharpe Boréal, j'ai dû passer par l'étape de la toile car c'est ma propre création et comment dire ... je ne regrette pas !!!
La toile permet d'ajuster, de corriger, d'améliorer le patronnage. Ces modifications permettent de corriger le patron pour qu'il ait le rendu final (rendu physique) souhaité par la créatrice.

4. Le dessin informatique du patron

Il y a plusieurs manières de tracer un patron en vue de le vendre. J'ai déjà eu le cas d'une créatrice qui trace ses patrons à la main sur des feuilles A4, au feutre et qui les enregistre en PDF pour les mettre en vente. Souvent, les patrons sont tracés de manière informatique et de plus en plus de patron sont disponibles en format projecteur. Le rêve ! Plus besoin d'imprimer des feuilles de découper et de les coller entre elles ! C'est déjà 1h de gagnée ! Je digresse...
Lorsque je me suis lancée dans la création du patron de l’Écharpe Boréal, je n'avais aucune connaissance en dessin sur informatique. J'ai cherché sur internet des noms de logiciel qui permettent de tracer des patrons de couture, logiciel gratuit si possible. Je me suis donc auto-formée au logiciel Seamly2D. Lorsque je suis arrivée au bout de mon travail de tracé informatique, je n'ai jamais pu exporter ce travail sur un PDF. J'ai donc tout repris à zéro sur un autre logiciel similaire, la prise en main a été plus rapide. C'est le logiciel Valentina qui est lui aussi gratuit et Open Source. Je n'ai pas pu faire tout ce que j'aurais aimé faire avec ce logiciel car certaines fonctionnalités n'était pas disponibles avec ma version de Windows. J'ai pu exporter mon patron en PDF et cette-fois je n'ai pas réussi à trouver comment l'exporter en A4, il y avait toujours un message d'erreur avec du codage informatique. J'ai opté pour l'exportation du PDF en mode affiche qui était le meilleur compromis pour permettre l'impression par le futur client et m'éviter de recommencer tout mon travail sur un 3ème logiciel.

5. La rédaction du livret de montage avec photos + tuto vidéo

J'ai une formation scientifique et 5 années d'expérience en Service Qualité. Je suis à l'aise avec la rédaction de protocoles, de procédures ou encore d'instructions de travail. J'ai beaucoup aimé la création du livret explicatif. J'ai choisi de mettre une photo à presque toutes les étapes car c'est un point que j'apprécie particulièrement quand j'achète un patron. Je mets environ 2h  pour réaliser l’Écharpe Boréal pour une commande client, découpe du tissu comprise. Je me souviens avoir mis 5h à coudre l'écharpe ayant servi aux photos et vidéos (du tuto vidéo). J'avais filmé avec mon téléphone, le travail de confection était rythmé par les photos, les vidéos, le réglage de la luminosité, l'emplacement de l'objectif pour que les gestes soient bien visibles et compréhensibles, etc. 5h plus tard, il restait le montage vidéo à faire, le recadrage/modification des photos.

6. Test du patron

Lorsque je réponds à un appel à test de patron, je vérifie toujours les délais pour rendre le travail. Je n'ai pas envie de m'engager, que la créatrice me compte dans son équipe, compte sur mon investissement pour au final ne pas pouvoir honorer le test ou rendre un test fait à l'arrache.
Il faut prévoir d'acheter le tissu, le laver, le coudre, faire un mini compte-rendu avec mes remarques et/ou suggestions au sujet des étapes d'assemblages, si elles sont claires, pas assez détaillées, dans le mauvais ordre, etc. Il est impératif de faire exactement ce qui est écrit dans les étapes de montage, de ne surtout modifier aucune étape et encore moins le patron. Le tout est de valider le travail de la créatrice, pas de faire un hack (transformation) de son patron avant même qu'il soit en vente...
Je n'ai pas de projecteur donc souvent j'imprime mes patrons en A4, je découpe les marges sur les feuilles et je les assemble entre elles. Je sors déjà mon carnet de notes pour relever si des décalages sont présents au niveau de l'assemblage du patron.
Je passe ensuite au livret explicatif. Je fais une lecture globale du dossier explicatif pour m'imprégner du modèle et avoir en tête l'ordre des étapes de montage. Je fais une deuxième lecture pour confirmer ce que je viens de lire pour l'ordre des étapes et je relève les fautes d'orthographe potentiellement présentes lors de cette seconde lecture.
Je prends mes mesures en fonction du tableau de mesures, étape primordiale +++ lors d'un test de patron. Puis, je décalque le patron qui correspond à ma taille.
Je passe à la confection en suivant à la lettre les explications. Souvent un groupe virtuel de testeuses est créé en lien avec le patron testé. Je trouve sur ce groupe toute l'aide et l'assistance dont j'ai besoin quand je rencontre des difficultés ou que je tombe sur des incohérences. Je demande si d'autres ont rencontré le même problème et si non, est-ce-qu'il est possible de m'expliquer autrement l'étape sur laquelle je bloque.
Lorsque j'ai fini de coudre, place aux photos ! On évite lors des tests de patrons, les photos en selfie dans un miroir, les photos en intérieur, la nuit, avec la table de la cuisine en arrière plan, des jeux d'enfants ou un lit défait (ou plutôt dans mon cas un lit jamais fait haha !). Je trouve que faire des photos est aussi difficile à organiser que coudre. Je dois m'organiser avec mon conjoint en fonction de nos disponibilités respectives pour les photos. En fonction des saisons, c'est la course pour réussir à profiter d'une belle lumière du jour et je ne vous parle même pas de la météo normande qui doit avoir elle aussi un fonctionnement en arborescence...
Il faut noter que le tissu provient de notre stock personnel. La créatrice "offre" son patron pour le test. Certaines créatrices proposent des liens affiliés. Ce sont des liens spécifiques à ajouter aux publications de la testeuse sur les réseaux. Si un achat est réalisé à partir de ce lien affilié, la testeuse est récompensée par la créatrice (% de commission, points de récompense à utiliser sur sa boutique, etc).
La règle primordiale que je m'impose : je rends mes tests comme j'aimerais que l'on me donne des retours si jamais je suis amenée à créer un jour mes propres patrons de prêt-à-porter et que je fais appel à des testeuses.

7. Corrections et ajustement suite aux résultats du test

Le livret explicatif et le patron sont corrigés par la créatrice qui se base sur les retours de ses testeuses. Les mises à jour sont réalisées et le patron final et son livret explicatif sont partagés aux testeuses afin qu'elles aient la version finale de tout ce travail. En ce qui me concerne, je n'ai pas pu faire appel à des testeuses pour l’Écharpe Boréal par manque de temps à leur consacrer, ça n'aurait pas été respectueux pour elles. J'ai simplement fait tester l'impression du patron par une personne de confiance à partir d'un autre ordinateur que le mien. C'est ma Maman de cœur qui s'est chargée de la relecture de mon livret explicatif. Elle qui a un niveau débutant en couture a pu me donner son ressenti, sans filtre et en toute confiance quant aux explications que j'avais écrites.

8. Mise en vente du patron

La patron est mis en vente, les testeuses n'ont pas forcément pour obligation de promouvoir le patron sur les réseaux sociaux. Cela dépend de l'accord passé avec la créatrice. Certaines créatrices veulent simplement que leurs patrons soient testés pour vérifier que tout va bien, que tout est clair. D'autres demandent à ce que des publications soient faites sur les réseaux sociaux pour promouvoir leur patron et ainsi séduire des adeptes de la couture pour déclencher des ventes.
J'aime beaucoup ce principe : tester et publier pour déclencher des ventes. Je trouve normal de promouvoir un patron, d'autant plus lorsque j'ai participé à la sortie de celui-ci en tant que testeuse. Les heures de travail de la créatrice sont récompensées par des ventes de patrons déclenchées grâce à ses testeuses qui s'investissent jusqu'au bout de leur mission.

9. Le système de licence

Des licences commerciales sont disponibles auprès de certaines créatrices de patron pour permettre l'utilisation de leurs patrons à des fins commerciales. C'est notamment mon cas comme spécifié plus haut, j'ai acheté une licence commerciale à Laucaly créations pour pouvoir proposer à la vente des créations que j'ai confectionnées à partir de ses patrons de couture, par exemple la Robe Mérédith.
Les licences peuvent se présenter sous forme d'étiquette physique à coudre ou à thermocoller sur la création, en plus de la griffe (pour moi, en plus de mon étiquette "Mon labo couture"). Des licences dématérialisées existent également mais je n'en ai jamais encore utilisé. Les prix des licences varient entre 1 et 2€ pièce et sont souvent dégressifs en fonction du nombre de licences achetées. Une licence doit être apposée sur chaque création vendue.

10. La propriété intellectuelle

C'est le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) qui s'applique lors de la mise en vente d'un patron de couture.Vous pouvez consulter cet article pour savoir ce qui est concerné par la propriété intellectuelle : Comprendre la propriété intellectuelle.
Les infractions à la Propriété Intellectuelle sont sanctionnées pénalement (CPI, art. L. 335-1 à L. 335-10). Le CPI entend par contrefaçon tous les actes d'utilisation non autorisée de l'œuvre. Le droit d’auteur naît quant à lui à partir de la date de création de l’œuvre sans formalités de dépôt. Si vous voulez en savoir plus sur le droit d'auteur, je vous invite à lire cet article : Qu'est-ce-que le droit d'auteur ?

Mon bilan après le lancement de mon premier patron :

Lorsque j'ai sorti mon Écharpe Boréal comme accessoire qui allait intégrer ma boutique en ligne, il y a eu comme un affolement général sur mes réseaux sociaux, des dizaines de demandes pour avoir le patron. Il était évident que je n'allais pas partager mon patron comme ça, en quelques clics, puisque j'ai mis des mois à le travailler pour obtenir le rendu souhaité. Je l'ai proposé simplement à la vente cette écharpe que j'ai créée car c'est le cœur de ma reconversion professionnelle d'être créatrice de prêt-à-porter, d'accessoires et de bijoux, dédiées aux femmes rayonnantes et non créatrice de patrons de couture !
Des personnes ont commencé à coudre des écharpes qui se rapprochaient fortement de la mienne, aussi bien dans le système d'attache que dans les tissus utilisés (tissus épuisés chez mon fournisseur depuis 1 an quand même !). Je me suis dit que là franchement je dois rester vigilante car l'inspiration est très fortement prononcée ! D'autres personnes me taguaient en spécifiant qu'elles avaient cousu une écharpe à capuche inspirée de celle de Mon labo couture. En voyant que je devenais influenceuse malgré moi à "inspirer les gens", j'ai décidé de mettre de côté ce que j'avais prévu pour mon entreprise en fin d'année 2022 pour me concentrer sur la création du patron. J'ai compris que le proposer finalement à la vente limiterait la démultiplication des tentatives de créations inspirées de mon modèle qui auraient pu porter préjudice à tout mon travail de création de ce modèle.
Le patron a donc été mis en ligne début janvier 2023. Je sais toute l'énergie et le travail que j'ai investi dans ce projet qui n'était pas initialement prévu et qui a vu le jour malgré lui. J'ai eu des remarques désobligeantes sur les réseaux concernant le prix de vente de mon produit. Heureusement chacun est libre d'acheter ou non mon patron, les remarques derrière un écran n'étaient peut-être pas nécessaires ! Le tarif appliqué est un prix qui respecte mon travail, qui respecte mes valeurs et qui est un prix juste envers mes clientes.

Encore merci à vous toutes qui m'avez fait confiance lors de la sortie de ce patron, merci pour vos bons retours, vos photos et vos partages !

J'espère que cet article vous a plu ! N'hésitez pas à laisser un commentaire !